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La naissance d’un crosseur

Vous avez de riches discussions (virtuelles, il va sans dire) depuis quelques semaines. Vos échanges sont d’une telle fluidité qu’à côté de votre complicité de clavier indiscutable et tangible, les conférences d’Albert Jacquard semblent confuses, désorientées et échevelées.

À chacune de tes phrases, il te donne la juste réplique tel un Cyrano de l’ère Trudienne et il « t’enRoxanise » de ses enveloppantes et convaincantes tirades. Vos touches battent la chamade à l’unisson, et tu rends son « ware » assez « hard » des coquins clichés que tu lui as modérément transmis dans un souffle frivole de juvénilité ridée. Il n’est plus temps de chercher de 13 h à 15 h (heure des Maritimes), vos écrans tactiles sont prêts à se faire face sans latence.

Vous êtes au même endroit dans la vie, c’est-à-dire que vous êtes séparés, vous avez des enfants et tu sais que les années où tu séduisais à l’aide d’un bref mais intense regard sous une frange tombante bien placée sont principalement derrière toi. Ne le prends pas mal, tu plais encore, mais pas nécessairement à ceux que tu aurais choisis en première ronde au repêchage de la joute séductive. Vous vous rencontrez dans un lounge branché à l’éclairage méticuleusement tamisé, entourés d’une clientèle au linge marqué, griffé, déchiré. En gros, un lieu où vous n’allez jamais, car ça ne vous ressemble pas, mais qui montre ce qu’il est vraiment lors d’une première rencontre?

Vos doigts, ayant généré initialement vos conversations, baissent pavillon et vos bouches rouillées prennent le relais. Celles-ci, surprenamment, utilisent adéquatement le vocabulaire auquel elles ont accès et forment des phrases presque aussi complètes que le faisaient vos phalanges. Tu es rassurée, il est aussi charmant dans la réalité sinon plus et cela confirme que les moments investis à mettre ta vie sur pause attendant qu’il se connecte, étaient un meilleur choix que d’aller faire du bénévolat ou de lire Nietzsche. (Je n’en ai jamais lu. Moi aussi, j’ai choisi de me perdre sur le Web.)

Tu es éméchée, il est amoché, vous vous rapprochez. Il te murmure, il te susurre, il t’assure. Tu l’invites, il t’habite, il coīte. Tu ne te serais pas nécessairement donnée si rapidement, car tu as des principes et malgré ta « crochiture » du moment, la droiture guide tes pas (que tu lui avais dit dans vos premiers écrits). Mais tu te dis qu’à vos âges, aussi bien s’ouvrir et s’offrir afin de ne pas laisser le temps vous miner davantage. Le lendemain, au petit matin, même si samedi domine au sein des septuplés jours, il invoque d’une éloquence « Bob Binettoise » un prétexte plausible l’obligeant à quitter dans les plus brefs délais (c’est souvent un baptême de filleul inexistant ou le décès d’une grande tante très éloignée toute aussi imaginaire). Te laissant dans tes croûtes oculaires rehaussées de mascara échu, le gars t’envoie un chaleureux et sincère « À la prochaine ».

Les réponses à tes messages s’espacent de plus en plus, et il est soudainement plus occupé qu’auparavant pour un gars qui te laissait entendre que les affaires étaient tranquilles dernièrement. Tu ouvres ton Messenger frénétiquement à répétition, tu vois qu’il lit tes messages, mais qu’il ne répond pas, tu lui en veux virulemment de ne pas t’écrire, tu t’arraches les cheveux en écoutant des chansons d’amour usées et en buvant trop de vin. Tu ne veux pas faire face à la réalité, mais il y a cette insupportable petite voix qui te nargue d’un retentissant écho.

Tu le confrontes et, comme des milliers avant toi, tu te fais déféquer le « Ce n’est pas toi, je ne veux seulement pas m’engager ». La plus lâche des phrases de l’humanité. Celle qui dit maladroitement que tu étais femme à baiser, mais pas femme à marier; celle qui dit que tu ne mérites pas d’être aimée; celle qui détruit l’estime que tu construis si difficilement depuis longtemps, te faisant sentir comme une mare de pus déjectée par les organes d’un troll en phase terminale.

Tu te détestes de lui avoir donné accès si facilement à ce pour quoi il aurait dû travailler plus fort (au moins trois « date »). Tu te promets, à l’avenir, de te respecter toi, de ne plus jamais ouvrir les jambes sous prétexte que c’est ce que tu es supposée faire pour que sa soirée soit réussie, de ne plus t’emballer devant les belles manières chevaleresques d’un gentleman et son sourire étincelant de fourberie. Et tu tiendras parole… jusqu’au prochain crosseur.

 

Un texte de Michaal Melvin

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